Alban, matthieu"l ex néophyte" et son copain benoit ont connu des conditions apocalyptiques lors de l'étape du tour cet été .Matthieu nous en fait ici le récit:
Vendredi 18 Juillet – Paris 15ème – 18h27 – J-2 avant l’Etape du Tour 2014
Je suis paresseusement allongé sur mon canapé lorsque je reçois le mail suivant :
« L'ETAPE DU TOUR 2014 : ALERTE METEO Attention, les conditions météorologiques du dimanche 20 juillet ne sont pas favorables : - vent - pluie - températures basses Nous vous recommandons fortement de vous équiper en conséquence : - vêtements chauds - vêtements de pluie - gants longs - vêtements de rechange à l'arrivée »
J’appelle sur le champ Benoit , qui prendra également le départ dimanche, pour commenter le mail de l’organisation. Je suis plutôt hilare : j’apprécie rouler sous la pluie… du Nord. Je prends donc à la légère le mail de l’organisation… J’avais tort.
Samedi 19 Juillet – Camp de Base de Lescar – 20h32 – J-1 avant l’Etape du Tour 2014
Préparation du matériel de demain : nous ne sommes pas plus avancés. Nous nous perdons en conjectures sur le temps. A partir de quel moment va-t-il pleuvoir ? Et dans quelle mesure ? Nous allons nous coucher sans réponse…
Dimanche 20 Juillet – Pau – l’Etape du Tour 2014
Nous parcourons les sept kilomètres qui séparent Lescar, notre camp de base, de Pau dans une relative fraîcheur matinale. Nous nous estimons heureux de ne pas effectuer le trajet de liaison sous la pluie. Nous apercevons quelques coins de ciel bleu depuis la place de Verdun, lieu de départ de cette 22ème édition. S’ensuivent de longues minutes d’attente avant le départ du SAS n°7 à scruter le ciel avec anxiété. Sur les 13 000 inscrits annoncés par l’organisation, nous ne sommes que 9 882 coureurs à s’être présentés au départ !
Vers 7h52, Benoit et moi franchissons la ligne de départ de cette étape Pau – Hautacam ! Le tracé commence une chicane en « S » négocié au ralenti pour prendre la rue Marca qui fait office de rampe de lancement ! Le début du parcours est scabreux : ronds-points, îlots directionnels, virages serrés. Tous les ennemis du cycliste sont réunis sur les premiers kilomètres… ça roule fort sur une petite route vallonnée et étroite. Mon compteur indique plus de 40 km/h alors que le programme de la journée est très copieux. Et, dès le 4ème kilomètre, je laisse Benoit prendre son envol dans la 1ère ascension, ou plutôt côte non répertoriée. Je préfère réduire mon allure aux alentours de 30-35 km/h en vue du Tourmalet et d’Hautacam. Pour ces premiers kilomètres, le temps se maintient !
Les traversées de villages sont toutes aussi piégeuses que plaisantes ! Nous empruntons des routes étroites qui serpentent dans les villages du Béarn. De nombreux spectateurs se sont levés tôt pour nous encourager. La première moitié du parcours apparaît plane au premier coup d’œil avec deux « côtelettes » de 3ème catégorie : la côte de Bénéjacq et la côte de Loucrup. Ceci est le premier coup d’œil. Après une analyse un peu plus détaillée, les « côtelettes » ne sont pas deux mais au nombre de cinq… La côte de Bénéjacq émarge à 6,7% de moyenne sur 2,6 kilomètres, la côte de Loucrup à 7% de moyenne sur 2 kilomètres : des mensurations respectables. Ainsi, les 70 premiers kilomètres du parcours se révèlent être une copieuse entrée, avant l’entrée dans la localité de Bagnères de Bigorre. Le plat principal n’est plus à présenter : le col du Tourmalet. Et les organisateurs nous ont offert une gourmandise acidulée en fin de parcours avec l’ascension d’Hautacam…
Ainsi, l’enjeu sur ce début de parcours est d’arriver le plus vite et le plus frais possible au pied du Tourmalet. Je m’y emploie en accrochant à toutes les roues qui passent et me dépassent. Je ne prends aucun relais. Je joue parfaitement mon rôle de passager clandestin. Dans les traversées de village, je prends quelque peu mes distances pour mieux anticiper les obstacles et d’éventuelles traversées de spectateurs. La traversée de Bagnères-de-Bigorre signifie la fin de la balade de santé… et comme un symbole, une pluie fine commence à rafraîchir les coureurs de l’Etape du Tour. La route également n’est plus la même, elle s’élève perceptiblement par de vilains faux-plats qui longent le lit de l’Adour. Nous ne sommes pas encore dans l’ascension officielle du col du Tourmalet qui débute dans la localité de Ste Marie de Campan… A mesure que je remonte la vallée de l’Adour, le crachin rafraîchissant se transforme en douche pyrénéenne. Je m’arrête quelques instants pour enfiler mon petit coupe-vent sans manches, un pansement sur une jambe de bois…
Arrivé dans le village de Campan, je suis trempé et plus encore. Déjà, je croise quelques cyclo-sportifs dans le sens inverse, et qui ont visiblement pris la décision la plus raisonnable. J’ai une furieuse envie de jeter mon vélo sur le bord de la route. Et le Tourmalet n’est même pas entamé… Dans le village de Ste Marie-de-Campan, j’ai parcouru 78 kilomètres depuis le départ de Pau en 3h30 et quelques secondes, soit une moyenne de 21,97 km/h. La banderole annonce 16,9 km d’ascension. Je laisse sur la gauche la route pour le col d’Aspin et je « fonce » tête baissée vers l’ascension la plus dantesque de ma jeune carrière de cyclo-sportif.
Les quatre premiers kilomètres de l’ascension officielle sont de la même veine que les dix kilomètres entre Bagnères-de-Bigorre et Ste Marie-de-Campan : des pourcentages moyens qui oscillent entre 3% et 5%. Puis survient la fin de la vallée… J’emprunte avec mes compagnons de galère une épingle vers la droite et, tout de suite, la différence de dénivelé se fait sentir. Il suffit alors de se caler sur le plus petit braquet possible et tourner les jambes. Dans ces kilomètres raides, trempé jusqu’aux os, avec une pluie qui ne faiblit pas, mon esprit divague et je n’ai, aujourd’hui à l’écriture de ce compte-rendu, aucun souvenir précis. A peine, je me souviens d’avoir discuté avec un coureur d’outre-quiévrain d’une frite-fricadelle arrosée de mayonnaise et de Jupiler . Dans l’ascension du Tourmalet, avant la Mongie, les paravalanches sont des havres de paix, quelques hectomètres parcourus à l’abri de la pluie…
A la Mongie, un ravitaillement est annoncé à 100 mètres. Je ne peux l’apercevoir dans le brouillard et ce n’est qu’à une quarantaine de mètres, qu’il apparaît. Je me ravitaille rapidement sous une pluie battante, dans un brouillard qui donne un caractère irréel à la scène. J’enfourche de nouveau mon vélo pour vaincre les quatre derniers kilomètres. Je traverse hagard le village-fantôme de la Mongie. La suite de l’ascension s’avère plus agréable… avec des pourcentages moyens autour de 8%. Sur les hauteurs de la Mongie, je reste suffisamment lucide pour éviter de peu une vache qui traverse dans le brouillard. Sur le côté de la route, les camping-cars sont toujours plus nombreux : à l’heure du déjeuner, des bâches sont tendues au-dessus des barbecues et je suis mis au supplice par les odeurs de viande. Soudain, dans les 500 derniers mètres, des enceintes sont positionnées tous les 10 mètres et vocifèrent des commentaires marquants des derniers tours de France. Je relance en danseuse, portés par les commentaires, et j’en termine avec le col du Tourmalet et ses 2 115 mètres d’altitude. Je mets un terme à 2h05 de souffrance.
Malgré d’intenses efforts pour gravir ce col du Tourmalet, il m’est impossible d’en profiter. La température y est polaire et la pluie continue d’arroser cette Etape du Tour décidément apocalyptique. J’entame avec la plus grande prudence la descente du col. Les premiers kilomètres sont très sinueux avec un ravin sur la droite qui invite à redoubler de prudence. Je ne dépasse pas les 25 km/h… Parfois, je traverse des petites rigoles d’eau qui ne demandent qu’à m’envoyer au tapis. Je suis littéralement frigorifié sur mon vélo, je ne sens plus mes doigts (si seulement j’avais des gants longs recouvrant les doigts…). A Barèges, je me rends compte de ce que je viens de traverser : une salle des fêtes fait office de ravitaillement et les rescapés s’y sont entassés. Si l’année dernière, j’avais été impressionné le nombre de coureurs étalés sur le bord de la route accablés par la chaleur, je suis stupéfait par le nombre de coureurs enroulés dans des couvertures de survie transis de froid. Certain(e)s sont en pleurs… Je suis secoué de frissons et mes doigts sont en difficulté pour se saisir le café que l’on me tend. J’ignore à ce moment si je suis capable d’enchaîner avec l’ascension d’Hautacam. Des idées d’abandon au pied d’Hautacam me taraudent. De toute manière, je ne peux m’arrêter à Barèges et encore moins faire demi-tour. Avec le moral au niveau des cale-pieds, je repars sur mon vélo pour en terminer avec cette éprouvante descente.
La localité de Luz-Saint-Sauveur marque un tournant ! Au sens propre, le parcours prend un virage sur la droite pour rejoindre la vallée du Gave de Pau et nous acheminer vers le pied d’Hautacam. Au sens figuré, je reprends le fil de ma course : la vallée est balayée par un vent chaud propice à la récupération. La chaussée est à peine humide et cela me permet de remettre en route la machine : entre 45 et 50 km/h, sur une route en faux-plat descendant, je me mets en tête de reprendre les 20 minutes perdues à Barèges. Illusoire mais bon pour le moral. Au pied d’Hautacam, il n’est plus question d’arrêter prématurément. J’ai retiré le coupe-vent, et porté par les spectateurs massés au pied de l’ascension, je suis gonflé à bloc pour la dernière ascension !
Hautacam la schizophrène… L’ascension alterne les pentes douces et les sérieux raidards pour une pente moyenne à 7,8% qui ne signifie rien… L’escalier s’étend sur quelques 13,6 kilomètres. Galvanisé, j’entrouvre le maillot bariolé de l’Ardéchoise et je mets à la planche. Rapidement, la pluie reprend mais elle ne peut plus me distraire de l’objectif final. Certains passages de l’ascension me mettent au supplice avec mon 39x28 d’un autre temps. Mais ces passages douloureux sont suivis de replats, véritables bouffées d’oxygène ! Consciencieusement, je gravis les derniers kilomètres d’Hautacam. Je profite de la pluie, de l’air frais, des encouragements des rares spectateurs qui se sont perdus sur ce cul-de-sac d’Hautacam. A la vue de la flamme rouge, je me remets en danseuse et j’en termine en 8 heures 53 minutes et 57 secondes, soit une moyenne de 16,63 km/h et une place de 6 707ème sur 8 458 courageux. A l’arrivée, le vide… d’Hautacam me déçoit. Ai-je donc réalisé presque neuf heures d’efforts sous des conditions météorologiques dantesques pour atteindre ce théâtre vide ? Qu’importe le but, seul le chemin compte