Dimanche 19 Juillet – Saint-Jean de Maurienne – l’Etape du Tour 2015
Un an après les conditions météorologiques apocalyptiques de l’Etape du Tour 2014, Etape du tour pau hautacam je m’apprête à m’élancer une nouvelle fois à l’assaut de l’Etape du Tour. Le parcours est particulièrement indigeste avec un dénivelé annoncé de 4609m D+, soit 800 mètres supplémentaires en comparaison à l’édition précédente…
Aux alentours de 7 heures, sur la ligne de départ de Saint-Jean de Maurienne, la température est agréable avec un petit 20 degrés. Aucune question à se poser sur les vêtements à utiliser : le court est de sortie ! Dans les secteurs les plus exposés des ascensions de l’après-midi, la température dépassera allègrement les 30 degrés. Le souvenir de mon « coup de chaleur » ardennais est encore vivace et mon inquiétude est réelle au moment de prendre le départ.
Depuis mon SAS de départ n°5, je donne mes premiers coups de pédale dès 7h40 dans la vallée de la Maurienne pour un petit 3,5 kilomètres de plat avant la première ascension : le col de Chaussy – 1533m – 15,4 km à 6,3%. Ce col du Chaussy, repéré en avril, n’a rien d’effrayant en lui-même. Toutefois, inclus dans « l’Etape-Reine » alpestre, il invite à la prudence. Avec un développement facile, je m’applique à faire tourner au maximum les jambes dans les premiers hectomètres de la montée qui traverse le village d'Hermillon. Arrivés dans la localité de Montvernier, je laisse sur ma droite les célèbres lacets du même nom pour grimper vers les roches ombragées de Montpascal. Les pourcentages y sont exigeants, mais les paysages magnifiques. Dans cette ascension, je dépasse certains participants à la peine d’un coup de pédale alerte. Si la journée s’annonce compliquée pour moi, elle va être un calvaire pour ces malheureux et leur échappée devrait se terminer dans un bus-balai. Avec le col du Glandon, le col du Mollard et la montée de la Toussuire au programme, on ne peut se permettre de flâner dans le col du Chaussy. Avant 9h15, je franchis le premier col de cette étape des derniers lacets gravis dans un décor champêtre.
Pour cause de travaux, je n’ai pu reconnaître en avril la descente du Chaussy. Très rapidement, je ne suis pas à l’aise dans cette descente : je sens une grande nervosité autour de moi. Certains se lancent sans retenue dans cette descente sinueuse et étroite. Et, très rapidement, la course est neutralisée… Une chute grave est intervenue et a nécessité l’intervention de l’hélicoptère. Je parcours ainsi un à deux kilomètres en procession, mettant pied à terre tous les 200 mètres. J’en profite pour me ravitailler tranquillement. Après un débours d’une dizaine de minutes, la course reprend ses droits et nous retrouvons la descente du col de la Madeleine sur une route plus large. Dans la localité de La Chambre, je prends le temps de remplir mes deux bidons : j’étais parti avec un seul bidon rempli pour gagner légèrement en poids dans le col du Chaussy.
J’aborde alors une partie de l’étape qui ne me convient pas. Trente kilomètres de vallée ponctués de deux bosses et d’un sprint intermédiaire. Pourtant, cette section, qui ne m’avantage pas face aux grosses cuisses du peloton, va me permettre de valider certains récents progrès : je me cache à merveille dans le sillage d’autres participants ; je m’installe avec bonheur sur le porte-bagages de mes équipières d’un jour. Mon passage à une vitesse de 41 km/h au sprint intermédiaire sans mettre un coup de pédale est en la preuve. Après un demi-retour dans la vallée, nous nous acheminons vers le plat principal : le terrible duo Glandon-Croix de Fer.
A l’approche de Saint-Etienne-de-Cuines, les groupes commencent à temporiser pour ne pas griller de cartouches avant le pied du col du Glandon. Il n'y aura plus aucun mètre de vallée jusqu'à l'arrivée à la Toussuire. Il est près de 11 heures et je profite des premières rampes pour prendre une première douche [un bidon renversé sur la tête]. Le docteur B. PREUSS a bien insisté sur le fait de s’asperger avant de ressentir le « coup de chaleur ». Je m’exécute.
Dans ces premières rampes, je me remémore le profil du col du Glandon-Croix de Fer : 2067m – 22,4 km à 6,9%. L’ascension se découpe en deux parties avec un replat vers la localité de Saint-Colomban-des-Villards. Cette ascension est l’unique ascension chronométrée pour le Classement des Grimpeurs. Au fil des kilomètres, je pressens que je suis dans une bonne journée : j’ai le coup de pédale léger. Je me permets de reprendre de nombreux participants, bien que certains coureurs qui n’ont pas obtenu un dossard à la hauteur de leur coup de pédale me dépassent aisément. Côté développement, je conserve mon 32 pour les derniers lacets du Glandon, réputés terribles. A 5 km du sommet, j’aperçois le col au loin et chaque participant comprend à ce moment-là qu’il va buter sur un mur… Nous apercevons les camping-cars sur le bord de la route qui ont déjà pris leurs quartiers pour encourager les professionnels le vendredi suivant. Le chemin à emprunter ne fait alors aucun doute. Le 32 s’avère être une bouffée d’oxygène dans ces pourcentages indécents. De nombreux participants poursuivent leur route à pied dans ces rampes vertigineuses. Je m’applique à appuyer fort sur les pédales, les jambes brûlent un peu mais ça passe : un temps d’ascension de 1h 59mn 05s et un classement satisfaisant de 4888 / 9877.
Je me ravitaille copieusement au sommet du Glandon mais il faut rapidement repartir vers la Croix de Fer situé à quelques kilomètres. Les 2,5 kilomètres pour la rallier n’ont rien d’ardus, toutefois, il est un peu dur de remettre en route les jambes après les derniers lacets éprouvants du Glandon. Je bascule ensuite, sans un regard pour le panorama, dans la descente, très escarpée sur ses premiers kilomètres. Sans temps mort, j’enchaîne avec l’ascension du col du Mollard : 1638m – 5,7 km à 6,8%. Dans ce repas alpestre, le col du Mollard est un plateau de fromage. Coincé entre le plat principal copieux [Glandon/Croix de Fer] et le dessert [Toussuire], je me dois de garder une place pour le dessert. A vrai dire, il me semble déjà ne plus avoir très faim… Raide sur son début et sa fin, je commence à ressentir les efforts déjà consentis dans les précédentes ascensions ! Toute proportion gardée, ces gros 5 kilomètres passent finalement assez vite. Après une énième « douche », je me lance dans la descente du Mollard qui est très technique . Dans un virage aveugle, je me fais une première frayeur avec la roue arrière qui se dérobe, ce même virage où R. BARDET et V. NIBALI tutoieront le ravin cinq jours plus tard.
En bas de la descente, au dernier ravitaillement dans Saint-Jean de Maurienne, je consulte mon portable : 14h55. Je suis agréablement surpris par l’horaire et je me lance sans attendre dans la montée de la Toussuire, reconnue en avril. Les premières rampes sont difficiles, elles le sont davantage après 120 kilomètres de balade alpestre. Alors que je passe devant le panneau des 15 derniers kilomètres, je commence à coincer un peu… Je mets alors tout à gauche et je finis au courage. On apprécie alors les arrosages proposés par les riverains et spectateurs, tout comme les messages d'encouragements posés sur les panneaux à chaque kilomètre. Parmi ceux-ci on retiendra "Ici, même CONTADOR a mal aux jambes" (pas FROOME !), puis "les jambes disent non, la tête dit oui" et surtout "les hommes font du rugby, les dieux font du vélo." Tout est dit ou presque.
A 500 mètres de la ligne, l’ascension se termine… Les spectateurs sont nombreux, massés derrière les barrières. Je mets la plaque et jette les dernières forces qu’il me reste. Je franchis la ligne d’arrivée après 9h 12mn 54s d’efforts, de bonheur mais aussi un peu de souffrance… et un classement de 5825 sur un total de 9877 finishers et de 12092 partants.
Matthieu