Je rentre tout juste d'une sortie sur route ; ce samedi estival a mis sur les chemins tout ce qui est susceptible d'y divaguer.
L'homo cyclistus salue le plus souvent son semblable, levant le menton ou la main du guidon, se fendant parfois d'un "bonjour!", d'un "salut!", d'un""branché ; et s'il passe sans le moindre signe on lui pardonne en pensant que ses semblables trop nombreux l'obligeraient à une gymnastique sans doute polie, mais aussi lassante et dangereuse.
Si l'homo cyclistus salue aussi parfois le piéton randonneur, surtout quand celui-ci trimballant un sac imposant sur son dos, confirme par là qu'il appartient aussi à la dynastie des routiers de l'effort, il ne daigne pas lever les yeux sur l'automobiliste, encore moins sur le motard, espèce sur deux roues concurrente, bruyante, dangereuse et polluante pour laquelle l'homo cyclistus n'a souvent que dédain. Souvent, je me suis dit que vieillissant et devenant très poussif et gâteux, je pourrais toujours me rabattre sur la moto. Je me ferais tatouer de partout, pousser les poils jusqu'à être hirsute e et porterais l'uniforme de cuir ! (Je sais que c'est faux !)
Cette observation m'interpelle et je m'interroge à propos des rapports humains : ainsi ces derniers sont largement conditionnés par le mode de locomotion? Automobilistes et motards sont étrangers haïssables, simplement par la raison qu'ils utilisent un moyen de se déplacer honni momentanément (nous sommes souvent automobilistes) alors qu'à priori tout cycliste attire la sympathie et le font mériter un signe amical.
Il arrive également que fortuitement l'homo cyclistus fasse une mauvaise rencontre, celle d'un représentant de la gent canine, par exemple. Généralement, l'homo cyclistus n'aime pas le chien, lequel le lui rend bien ! Et tout cycliste a peu ou prou marqué au mollet la cicatrice laissée par les canines d'un agresseur carnivore .
Le chien est, dit on, le meilleur ami de l'homme ; c'est vrai, parfois. Cet hiver, roulant la fleur au fusil sur un chemin de halage à VTT, quelle ne fut pas ma surprise de voir surgir de l'enclos d'une maison éclusière un joli molosse, du genre berger allemand ; pas moyen d'éviter la rencontre. Les premiers moments de stupeur et de peur passés, je m'aperçus bien vite que l'animal n'avait que le dangereux souci de me manifester son indéfectible amitié. D'abord il me sauta dessus pour me manifester son amour et je résistai tant bien que mal à l'assaut ; puis il se mit en devoir de me lécher la jambe. Ayant compris que la chose était impossible à cause du mouvement, il se mit en devoir de me suivre, le nez sur mes talons. J'accélérais, il accélérait. Je ralentissais, en essayant de le dissuader de me suivre, et il persistait à me prouver son attachement ... Un moment, je m'imaginais faire le tour du monde avec cet acolyte ! Et puis, me vint un plan machiavélique qui allait me rendre à ma solitude : je sortirai du chemin de halage, amènerai mon compagnon de route au sommet d'une côte et ferai la descente à une allure que mon nouvel ami ne pourrait soutenir. Assis un peu triste au bord de la route, il me regarda disparaître à ses yeux.
Pour moi je suis souvent solitaire car je n'apprécie plus guère les pelotons cyclistes ; les paysages se limitent alors à la roue de celui qui te précède et la musique à celle des chaînes bien huilées sur les pignons. Seul, j'ai donc le loisir d'observer mes semblables homo-cyclistus. Si un regard superficiel ne permet guère de les distinguer tant ils sont uniformément déguisés, à peine différencie-t-on le masculin du féminin (quoique...!), un regard plus sagace permet d'entrer dans un monde de silhouettes d'une grande diversité. Il en est des jeunes fringuants, des vieux perclus et tout tordus sur leurs luxueuses machines, des glabres et des velus, des grands et des minuscules, des déguingandés et d'autres qu'une lourde bedaine handicape, avec quelques femmes perdues dans ce monde masculinisé ...
Et je me plais à penser que tout ce peuple uniformisé et pourtant disparate redeviendra bientôt le peuple homo-erectus vulgaris ...
Tiens, me voilà écrivant le latin comme un Jean-Michel parlant aux italiens !
ROBERT